/// ÊTES-VOUS SYNESTHETE ?
Voir les sons, entendre les couleurs ou goûter les lettres. Le tout, sans taux d’alcool record dans le sang ni prise de drogues hallucinogènes. Car la synesthésie est saine. Troublante pour le commun des mortels, mais parfaitement naturelle pour la poignée d’êtres humains que l’on appelle synesthètes. Concrètement, ce trouble neurologique « new age » correspond à une association de sens incontrôlable. Les mots ou les chiffres deviennent colorés. La musique entraîne des flashes bariolés. La lecture de certains mots provoque une montée de goûts sucrés, salés ou amers. Mieux, les lettres ont un caractère particulier. Le T peut être lâche et timide tandis que le V est emporté et souriant. Les possibilités sont multiples, différentes et font de la synesthésie un phénomène aux frontières extrêmement vastes.
Des frontières qui peuvent aussi devenir artistiques, sources d’inspiration chamarrées pour le synesthète en mal d’expressions. Si je vous demande « quel est le point commun entre Duke Ellington, Lady Gaga et Vladimir Nabokov ? », vous me répondez avec une voix mal assurée : « …synesthètes ?? » Bravo, vous avez tout compris. Nombre d’artistes se servent de leur particularité pour servir leur art. Certains en font la pièce centrale de toute leur créativité. A l’instar de Kandinsky qui a établi un code de formes et de couleurs pour soutenir son oeuvre abstraite. Le bleu se veut rond, doux et encerclé, le jaune étincelant et vif dans son triangle, le rouge solide et terrestre ancré dans le carré. Une synesthésie picturale que l’on retrouve aussi dans la littérature comme le prouve le poème Voyelles de Rimbaud. Sans être touché par cette manifestation neurologique, Rimbaud a su parfaitement décrire la correspondance qui se crée pour beaucoup de synesthètes entre les couleurs et les lettres.
Rien d’étonnant lorsque l’on sait que la synesthésie était au XIXème siécle un des sujets à la mode, tout comme l’hypnose. Beaucoup d’artistes ont alors travaillé dessus sans pour autant être eux-mêmes synesthètes. Et comme nous l’explique Jean-Michel Hupé, chercheur au Centre du cerveau et de la cognition à Toulouse, cet engouement s’est éteint au cours du dernier siècle pour mieux revenir en force au début des années 2000. Les recherches sur la synesthésie, bien que très discrètes, se multiplient et tentent de trouver des réponses logiques dans le cerveau de nos amis synesthètes. Néanmoins, on ne sait toujours pas ce qui se passe vraiment dans leurs têtes et la méthodologie pour faire des découvertes n’est pas encore parfaitement maîtrisée.
Car la synesthésie touche à un point que la science a rarement étudié : la subjectivité. Explications du chercheur-spécialiste : « En pratique, on fonctionne comme si tout le monde avait les mêmes expériences subjectives ». Traduction : on pense logiquement que tout le monde voit, entend et ressent les mêmes choses devant une même situation. « Or là, on sait que l’expérience subjective des synesthètes est totalement différente des autres. Du coup, la science doit aborder de façon méthodique des points presque philosophiques comme celui de la conscience ». Traduction : la science, logique et objective entre dans un univers de subjectivité et de perception individuelle, ce qui explique les difficultés des recherches en cours.
Difficultés décuplées pour les chercheurs lorsque l’on sait qu’il existe de multiples synesthésies, tout comme il existe d’innombrable traits de caractère.
Mais nous, nous avons trouvé une synesthète, prête à parler de son expérience pour vous. Caroline est toute nouvelle dans le club des synesthètes qui savent mettre un nom sur leur trouble neurologique. C’est un ami qui lui a expliqué ce qu’était la synésthésie car il savait qu’elle voyait le monde en couleurs, plus exactement, les chiffres. « Si je dis « 24″, je vais dire « 24″, mais également « jaune et bleu ». Puisque dans mon cerveau, le 2 est jaune et le 4 est bleu. Et c’est très précis. Il n’existe pas de cafouillage. Le « 6″ est pour moi fuchsia. Pas rose, ni rouge, il est très exactement fuchsia ». Une spécificité qui l’aide à mémoriser beaucoup de choses. « Par exemple, je me souviens parfaitement des codes de portes d’entrée, même si je n’y suis pas allée depuis très longtemps ». Quelle prouesse !
Mais n’allez pas croire que les synesthètes ont une meilleure mémoire que les autres. Comme l’explique Jean-Michel Hupé « ces personnes mettent naturellement en place des moyens mnémotechniques qui leur permettent de retenir certaines choses ». Une double lecture qui offre un plus au synesthète. Et Caroline n’échangerait sa place pour rien au monde, « je suis très heureuse de ma petite différence. C’est mon truc à moi même si plein d’autres gens sont concernés ».
D’autres gens certes, mais pas tout le monde. Alors une question des science fiction se pose : comment serait un monde synesthète ?
Les Unes des journaux seraient foncièrement plus joyeuses. Les clips vidéos n’existeraient peut-être pas puisqu’on aurait tous à disposition un outil son et couleurs dans la tête. Une nouveau régime ferait des ravages : en lisant certains mots, on aurait des goûts dans la bouche et un vague sentiment de satiété. On peut imaginer que les humains auraient réussi à développer une nouvelle forme de communication basée sur des envois d’ondes traduites par des couleurs dans la tête qui, associées, créeraient une conversation.
Enfin, beaucoup de choses qui pourrait peut-être arriver car comme l’explique Jean-Michel Hupé « nous sommes peut-être tous un peu synesthètes » sauf que dans certains cerveaux, des connections se réalisent et pas dans d’autres. Et votre cerveau, il en est où ?
Un petit test pour savoir !
EST-CE QUE CES LETTRES ONT LA BONNE COULEUR ?
Si la réponse est non de façon évidente et indiscutable, vous avez sûrement une forme de synesthésie la plus courante : graphème-couleur. Si vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez contacter Jean-Michel Hupé par mail ou poser vos questions / réagir dans les commentaires de l’article, nous essaierons d’y apporter des réponses.
TEXTE : Constance Berjaut
ILLUSTRATION : Clément Louis
Merci à Caroline.
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Pour les lettres/chiffres, je ne suis pas certain d’être synesthète. Je ne « vois » pas le A rouge, le B blanc et le Y jaune. Mais je « sais » que le A est rouge, le B blanc et le Y jaune. Pareil avec les lettres.
Pour les lettres/chiffres, je ne suis pas certain d’être synesthète. Je ne « vois » pas le A rouge, le B blanc et le Y jaune. Mais je « sais » que le A est rouge, le B blanc et le Y jaune. Pareil avec les lettres.
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